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24 heures dans le quartier de Jussieu

Écrit par
Alexandre Prouvèze
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Les Parisiens fréquentent-ils encore le Quartier latin ? Pas vraiment, me direz-vous, pour une raison assez simple et évidente : les cars de touristes, ces hordes hagardes déambulant avec leurs Canon hors-de-prix, leurs bobs sur la tête et leurs sacs-bananes. Certes. Le Panthéon, la rue de la Huchette, tout ça tout ça… Pourtant, à quelques pas de là, vers l’Est, le quartier de Jussieu a su préserver son charme singulier, entre ses petites rues escarpées, ses étudiants en terrasse, ses jardins préservés et ses boutiques authentiques. Petit tour du quartier en 24 heures (moins quelques-unes de sommeil), entre les métros Censier-Daubenton et Jussieu.

9h30 : Commencer par un petit tour bucolique au Jardin des Plantes

Si le Jardin des Plantes ouvre ses portes vers 7h30, on ne va quand même pas commencer trop tôt. Si ? Avec plus de 10 000 espèces végétales, le plus grand jardin botanique de Paris (qui mérite plutôt d’être visité sous un soleil printanier ou estival) pourra, de toute façon, être le lieu de déambulations sans fin.

D’ailleurs, outre les fleurs en tous genres (et aux noms fantastiques) que vous y croiserez, si vous aimez les animaux vous pourrez également en voir un nombre imposant ; qu’ils soient ancestraux (à la Grande Galerie de l’Evolution) ou bien vivants – malgré le fait de se retrouver, pour certains, derrière des barreaux – au sein de la belle Ménagerie du jardin des Plantes. Flamands roses, tigres, perroquets, crocodiles et grands singes (ainsi qu’un nouveau venu : le tapir malais)… De quoi vous sentir plongé dans un véritable livre de la jungle. Une bonne séance de marche et de méditation matinale, en somme. En songeant à Lucrèce. De natura rerum.

11h : Prendre un thé vert à la Grande Mosquée de Paris

Une petite cour ombragée, des tables ornées de mosaïque sous quelques beaux arbres : la Grande Mosquée de Paris sera sans doute le lieu idéal pour véritablement commencer votre journée, après une traversée méditative du Jardin des Plantes. Vous pourrez même en profiter pour faire un petit détour par l’une des nombreuses librairies du quartier. Par exemple, chez Palimpseste (16 rue Santeuil, face à l’Université Paris 3-Sorbonne Nouvelle, à deux pas de la Grande Mosquée), afin d’y choper un peu de lecture. Car quoi de mieux qu’un roman, un essai ou un poème, à déguster tranquillement accompagné d’un thé vert – dont les vertus pour la santé ne sont plus à prouver. Là encore, vous pourriez y passer des heures… Mais le devoir – ou plutôt l’appétit – bientôt vous appelle !

12h30 : Un déjeuner authentique et joyeux au Foyer Vietnam

Havre de culture vietnamienne, le Foyer Vietnam (au numéro 80 de la rue Monge) fourmille d’étudiants originaires d’Asie, qui s’y retrouvent dans une ambiance cultivée et décontractée, ainsi que d’amoureux de la cuisine d’Asie du Sud-Est. Les plats proposés y restent assez classiques, mais réalisés avec soin, abondants et goûtus. Salade de crudités, de crevettes ou de bœuf en entrée, suivie d’une soupe pho (excellente), de liserons d’eau sautés à l’ail (à essayer) ou du poulet vapeur au gingembre : les saveurs sont clairement au rendez-vous, les prix raisonnables et l’atmosphère sympathique au possible…

En plus, vous vous cultiverez facilement en apprenant quelques expressions idiomatiques typiques du Vietnam, affichées au mur et traduites en français, souvent avec humour. Bref, de quoi vous sustenter avec qualité pour pas cher... et vous donner quelques bonnes envies d’exotisme !

14h : Se faire une toile dans une belle salle d’Art et d’Essai

Qu’il pleuve des cordes ou qu’on se trouve à deux doigts de succomber à la canicule d’un soleil brûlant de début d’après-midi estival, le cinéma offre toujours un refuge idéal. Surtout lorsqu’il propose une programmation comme celle du cinéma La Clef ! Une réjouissante sélection touche-à-tout de documentaires – souvent politiques mais pas seulement – y alterne avec des fictions de cinéma indépendant de tous horizons : Europe et Etats-Unis, évidemment, mais aussi Amérique latine, Afrique ou Asie. Cerise sur le gâteau, le personnel du cinéma est adorable et les tarifs de l’entrée en salle sont tout à fait modérés (la carte UGC y est aussi acceptée, d’ailleurs). Légèrement excentré par rapport au cœur historique des cinémas d’Art et d’Essai à Paris – qui se trouve un peu plus au nord, vers la rue Champollion et la rue des Ecoles – le cinéma La Clef mérite largement ce léger détour, d’autant qu’il programme, un fois par mois, un ciné-club parmi les plus étonnants qu’on puisse actuellement trouver sur Paris : « Les Rendez-vous de la mort joyeuse ». Toutefois, pour y assister, il faudra revenir en soirée… En même temps, il reste encore beaucoup à faire dans le quartier.

16h : Petit parcours culturel entre vinyles vintage et cœur historique

En remontant vers le nord, par la rue Monge, vous pourrez alors trouver une formidable librairie pour enfants, La Petite Boucherie – qui, en dépit d’un nom pour le moins inattendu, propose également quelques jouets originaux et de qualité (souvent en bois et pleins d’humour). L’idéal pour trouver un peu de lecture pour votre gamine, votre petit frère ou le petit-cousin de votre belle-sœur. 

Puis, en prenant la rue de Navarre à droite, vous croiserez bientôt, à l’angle de la rue des Arènes, l’un des meilleurs disquaires de jazz et de blues de Paris – et qui, pour sa part, porte fort bien son nom : le Paris Jazz Corner. Autant vous prévenir tout de suite, le gérant du lieu est un véritable passionné, doublé d’un formidable gloseur sur la musique noire américaine de la première moitié du XXe siècle. Vous aimez les guitaristes ? Ça tombe bien : on pourra ici vous faire un parfait petit digest de la six cordes blues ! Vous préférez le jazz classique d’un Ellington, les atmosphères cool de Miles Davis ou les dissonances coltraniennes : réjouissez-vous, tous les classiques sont ici, ainsi que de fort belles pépites n’ayant jamais été rééditées depuis l’époque. Ajoutez-y une sélection pointue d’ouvrages, théoriques ou historiques, sur le jazz ainsi que des DVD de concerts… Et vous aurez de quoi repartir avec quelques belles emplettes sous le bras ! 

Juste en face du disquaire, vous trouverez alors l’entrée des Arènes de Lutèce, camouflées derrières la plantureuse végétation du jardin qui le jouxte. Etonnant, d’ailleurs comme cet espace charmant, datant du… Ier siècle de notre ère (eh oui, quand même !), reste à l’abri des touristes. Or, si jadis on pouvait y assister à des combats de gladiateurs, c’est désormais d’innocentes parties de ballons qui s’y jouent entre gamins, tandis que, perchés sur les gradins, des étudiants viennent prendre le soleil en séchant leurs cours, lire tranquillement So Film ou… se rouler des pelles sur les escaliers de pierre.

Enfin, après un bon bain de soleil ou une partie de pétanque (l’enceinte des Arènes étant aussi parfaite pour jouer aux boules), l’heure de l’apéro doit commencer à pointer le bout de son nez. Alors, en ressortant par la rue des Arènes, arrêtez-vous donc devant le numéro 5 de la rue, où se dresse une belle maison néogothique, dans laquelle vécut l’écrivain Jean Paulhan de 1949 à sa mort en 1968. Pour l’anecdote, c’est pour lui que fut écrit le roman-culte de la littérature SM, ‘Histoire d’O’, par Pauline Réage (pseudonyme de Dominique Aury) en 1954. Autant dire que devant l’édifice, on se plaît facilement à imaginer des scènes qui feraient facilement rougir les lecteurs du fadasse ‘Fifty Shades of Grey’. Ah, si l’on savait tout ce qui a pu se tramer derrière les façades des immeubles parisiens... Bref, l’heure de boire un verre semble donc bien venue !

18h : Tournée des bars et promenade alentour

Au bout de la rue des Arènes, vous voici au croisement avec la rue Linné, que vous prendrez à droite, vers la fac de Jussieu, passant devant une jolie librairie d’occasion (Bloody Mary), jusqu’au repaire des étudiants du quartier depuis des lustres (ou, au moins, depuis plus d’une dizaine d’années) : L’Inévitable, au 22 rue Linné. Véritable QG des étudiants de Paris-VII, le bistrot, dont la terrasse est idéalement orientée plein soleil en fin de journée, pratique des prix raisonnables, en particulier grâce à des happy hours de 16h à 21h – eh oui, quand on est étudiant, on peut commencer tôt…

Ensuite, passez donc par la place Jussieu et montez la rue des Boulangers où pourraient bien vous attendre quelques œuvres de street art. Vous pourrez alors, au numéro 44, saliver devant la vitrine de la boutique Bières Cultes, spécialisée dans les breuvages maltés de bon aloi, et dont la vitrine se voit ornée d’une belle citation du poète latin Horace : « Aucun poème écrit par un buveur d’eau ne peut connaître un succès durable. » Voilà qui est dit !

Puis, arrivé au métro Cardinal Lemoine, prenez la rue du même nom sur la droite, jusqu’au numéro 55, où, pour peu que vous soyez bibliophile, vous vous réjouirez de trouver la librairie Les Autodidactes, son vendeur bougon et ses éditions originales à tomber par terre : cinéma (on trépigne notamment devant ‘Les Films de ma vie’ de François Truffaut), littérature (« Grands dieux, une édition vintage de Bataille ! »), livres d’art, poésie ou presse écrite – entre des numéros de Hari-Kiri ou de Charlie d’époque et des revues aussi obscures qu’intrigantes… La sélection d’ouvrages disponibles est terriblement excitante !

20h : Un film vintage ou un resto chic, au choix

Arrivé au croisement de la rue du Cardinal Lemoine et de la rue des Ecoles, vous vous trouverez sans doute devant un choix cornélien (décidément, cet après-midi aura été formidablement littéraire), sur lequel vous pourrez laisser votre cœur balancer en sirotant un verre chez Bonvivant, sympathique bar à vins sis 7 rue des Ecoles. Première option : le cinéma Grand Action, son apéro en terrasse et sa programmation de chefs-d’œuvres du septième art (souvent en versions restaurées). Kubrick, Hawks, Godard, Lynch, Murnau ou les Marx brothers : l’histoire du cinéma vous attend ici de pied ferme, ainsi que quelques ciné-clubs – dont celui, précieux, de la revue Positif.

Sinon, autre possibilité : un bon resto ! Vous aurez d’ailleurs là aussi le luxe de l’hésitation avec, d’un côté, Le Buisson Ardent (25 rue Jussieu) et sa cuisine française tradi mais chiadée, les spécialités argentines et les viandes grillées de La Cueva del Diablo (13 rue du Cardinal Lemoine) ou encore la fusion du restaurant AT (4 rue du Cardinal Lemoine), mariant avec goût et originalité le savoir-faire du chef japonais Atsushi Tanaka et une sélection de vins français du meilleur cru.

Enfin, arrivé au quai de la Tournelle, vous pourrez, à votre droite, contempler l’Institut du Monde Arabe ou, à votre gauche, longer la Seine jusqu’au Quartier latin et traverser l’un des plus beaux coins de Paris, face à l’Ile-Saint-Louis et l’Ile-de-la-Cité, au bout de laquelle vous pourrez admirer la Seine depuis le Pont-Neuf, en vous imaginant peut-être dans un sublime film de Leos Carax…

Image tirée du film 'Les Amants du Pont-Neuf' de Leos Carax (©DR)

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