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La rue du Château d'Eau, histoire d'une gentrification accélérée

Écrit par
Emmanuel Chirache
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Il y a soixante ans, le Marais était encore un quartier populaire et la rue Mouffetard dans le 5e abritait petits commerçants et ouvriers modestes. Il n'en reste plus grand-chose aujourd'hui, et c'est le même destin qui attend désormais une grande partie des quartiers populaires de la capitale, Belleville, Pigalle, Marx Dormoy... A cet égard, la rue du Château d'Eau se présente comme un exemple archétypique et supersonique, un concentré de gentrification entre place de la République et rue du Faubourg Saint-Martin et qui s'étire vers les artères adjacentes : rue Taylor, rue de Lancry, rue Sampaix, rue Bouchardon. 

En un an, on ne compte plus les commerces, surtout de gros, qui ont mis la clé sous la porte et qui ont été rachetés par des lieux qui conviennent davantage aux besoins des nouveaux habitants et travailleurs du quartier. Chaque mois, une nouvelle adresse semble ouvrir, galerie d'art, disquaire, coffee shop, resto branché... Propriétaire du Petit Nicoli, cave et bar à vins, Stéphane avait senti le vent tourner assez tôt. « Je voulais cet emplacement, au milieu de la rue, nous confie-t-il au fil d'une conversation sympathique. J'ai trouvé un local et je me suis installé en 2016, avant que tout le monde n'arrive d'un coup. La mairie pousse les grossistes à se délocaliser du côté d'Aubervilliers. Il n'y en a plus qu'un ou deux qui résistent. » 

Stéphane, patron du Petit Nicoli


La librairie solidaire entretient la flamme d'une vie de quartier

Partout dans la rue, on découvre des devantures en travaux ou encore des baux à céder, qui annoncent une nouvelle vague d'ouvertures. Seul le bar PMU le Navy, prisé des gratteurs de tickets de loto, rappelle au promeneur qu'il se trouve dans un quartier du 10e autrefois populaire. A la librairie solidaire installée au fond de la cour du 27 rue du Château d'Eau, on prend les choses avec fatalisme : « Avant il y avait énormément de petits commerçants dans le quartier, des primeurs, des bouchers, des boulangers... se souvient la libraire. Ils sont remplacés par des bars, ou alors ils restent mais ils augmentent beaucoup les prix. La mairie subventionne un peu les nouveaux commerces, mais ça tourne quand même pas mal, ils ne réussissent pas tous à s'implanter. » Tenue par la régie de quartier du 10e, la librairie vend des milliers de bouquins en bon état à tout petit prix, quand elle ne les donne pas gratuitement, témoignage d'une vie associative ancienne et dynamique dans l'arrondissement.

Pour le reste, ce tronçon de rue symbolise à lui tout seul l'évolution du Paris populaire, dont on dit qu'il est envahi par les bobos et les hipsters. Petite revue de détail. En deux ans, ont ouvert : Le Petit Nicoli (bar à vins), Smallville (disquaire), L'Anticafé (coffee shop et atelier de coworking), Les Résistants (restaurant locavore), la Trésorerie (boutique d'articles de maison), la Chouette (café et atelier vélo), Yumi (restaurant), O/HP/E (épicerie et café), Cultures Caves (caviste). Peut mieux faire ? Alors imaginez que la rue possède également son testeur de commerces géré par la SEMAEST, la société d'économie mixte de Paris, un local qui permet à des sites en ligne ou des entrepreneurs en plein développement de « tester » leur formule en vente directe. Mieux, l'immense immeuble qui accueillait les bureaux de BETC vient d'être transformé en temple du coworking.


Pour les fondateurs de Deskopolitan, Alexis, Paul et Edouard, le choix du quartier s'est révélé stratégique. Non seulement la rue du Château d'Eau possède son marché, le marché Saint-Martin, mais elle se situe entre la place de la République, le canal Saint-Martin, la gare de l'Est et Strasbourg Saint-Denis. Ici, les habitants changent, les start-up s'installent, les Parisiens viennent de partout pour sortir. Pour l'instant, la rue du faubourg Saint-Martin fait office de Rubicon à franchir pour la gentrification : la partie « africaine » de la rue, avec ses salons de coiffure et ses boutiques de vêtements, n'a pas du tout été touchée et elle conserve son authenticité foisonnante et mixte. En revanche, de l'autre côté, le ballet ne s'arrêtera pas de sitôt et on peut même imaginer que les hôtels bas-de-gamme, comme le Grand Hôtel Prince Eugène par exemple, deviendront un jour des quatre étoiles, ou - qui sait ? - que la caserne des pompiers se transformera en nightclub. 

Un nightclub à la place de la caserne ?

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