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Du 4 au 21 mai, l’artiste plasticien réputé pour ses portraits animaliers réalisés au sabre (oui oui !) investit la galerie souterraine Ground Effect pour un solo show inédit. L’occasion de plonger dans les profondeurs de son art en explorant son havre de création. Suivez le guide !
Il y a quelque chose d’à la fois doux et réconfortant mais aussi électrique et puissant dans le trois-pièces au fond d’une cour de Montrouge qui sert d’atelier à Antoine Bertrand. Ou plutôt servait puisque, depuis notre passage, l’artiste a déménagé son antre créatif au Jardin d’Alice de Montreuil. Mais qu’importe : cet appartement dédié à l’art du sol au plafond – et jusque sur les murs ! – constituait un tel monde de merveilles qu’on s’en serait voulu de ne pas vous faire partager sa visite.
Toute la splendeur du capharnaüm
Cette impression de dynamisme exaltant qui nous galvanise en passant la porte rouge du studio découle sans doute de l’accumulation d’esquisses et d’objets qui inondent chaque meuble comme une vague folle. Des rouleaux de papier s’amoncellent ainsi entre la lampe et la sono ; des talismans Omamori s'accrochent à la rambarde de la fenêtre ; la table en bois au milieu du salon est prise d’assaut par un essaim de dessins préparatoires, de carnets de croquis ou de figurines enfantines ; et une collection de précieux pinceaux en bambou, rapportés de voyages en Asie, se suspendent au garde-à-vous sur les étagères de la bibliothèque, comme prêts à défendre l’ost de pigments naturels qui s’amassent derrière eux.
Des œuvres sortent même de chaque pan de mur ou de chaque interstice et des jetées de peinture rampent sur les cloisons telles des racines organiques. « A cause de ces drippings, mon proprio m'appelle Rembrandt », s'amuse Antoine. Bref, c’est un vrai « baz-art » au sens propre du terme. Un univers vivant et d’une inventivité vigoureuse, voire furieuse, que l’on retrouve sans surprise dans les tableaux de l’artiste.
Cœur tendre et coq(ue) de feu
Alors, certes, par cette description, on pourrait penser qu’Antoine Bertrand est un énervé un peu bordélique. Et on se tromperait lourdement ! Car l’occupant de ces lieux atypiques, qui a fait ses classes dans le secteur de l'animation, se révèle être l’un des hôtes les plus calmes et attentionnés que l’on ait eu l’occasion de rencontrer. « Sans doute parce que j’ai grandi à la campagne », tente-t-il d’élucider.
Mais si sa voix est apaisée et ses gestes mesurés, son cerveau est en constante ébullition imaginative. La passion qui l’anime en fait d’ailleurs un travailleur acharné et exigeant avec lui-même. En témoignent les multiples projets qu’il mène de front, parfois à vue. Comme lorsqu’il a dû réaliser une centaine de plaques en faïence émaillée et en céramique peintes pour les chambres du luxueux Hôtel Regina alors même qu’il n’avait jamais pratiqué la décalcomanie à l’aide de résine. Un coup de bluff pour lequel la vitre a servi de cobaye...
Des challenges qui le poussent à expérimenter de nouvelles techniques toujours plus inédites. Et donc à faire évoluer son art. Outre la céramique peinte également mise au service de la décoration du restaurant ISTR, Antoine Bertrand a ainsi essayé la feuille d'or sur plexiglas. Un matériau fragile dont « la beauté presque insaisissable oblige à se talquer les mains » quand on le manipule, repris pour le collectif King Slip. Inspiré par les estampes japonaises d'Itō Jakuchū, Antoine a aussi voyagé en Islande et en Chine afin d'apprendre des procédés ancestraux comme dompter la pierre à encre avec des maîtres d'art confirmés. Un enseignement traditionnel et rigoureux pour ce jeune homme parfois impétueux. « Mais quand cela vaut le coup, on ravale son impatience », philosophe-t-il.
Puis, il y a trois ans, Antoine a sorti le sabre de RAGE. Littéralement. Rempli de colère après une déception personnelle, l'artiste a fait de cet outil authentique, élaboré par son papa, son allié cathartique, sa canne thérapeutique. Le prolongement de la lame comme l'amplitude du geste, dessinant des lignes de force spontanées à l'acrylique, lui ont permis d'évacuer le négatif, d'exprimer son ire. Le sabre, un instrument de mystique que l'artiste manie tel un chef d'orchestre et qui lui demande en effet d'aller à l'essentiel en se mettant dans un état de rage unique. Etat qui donna logiquement son nom à la série de toiles présentées à l'exposition collective de la Manufacture 111 l'été dernier.
Si Antoine Bertrand a mille et un style, il a cependant un seul sujet de prédilection : le monde animal. Un bestiaire fantastique dont le chef de meute originel est... un coq. Une toile baignée d'un rouge incandescent, réalisée pour sa grand-mère à 28 ans, qui trône aujourd'hui sur la cheminée du salon cachée sous un drap à cause de son énergie un peu trop agressive. Malgré tout, ce coq – symbolisant le signe astrologique d'Antoine – demeure une référence dans l'œuvre de l'artiste. Son totem, sa signature, son logo. En somme, sa patte, sans mauvais jeu de mots !
Safari au sabre
Cette fascination pour les animaux, Antoine Bertrand l'explique par son éducation. Et notamment des parents férus d'ornithologie qui respectaient cependant trop les animaux pour en avoir à la maison. Aucun chien, chat ni même poisson rouge ne peuplent donc l'atelier de l'artiste. Mais l'ardeur des yeux du gorille ou du tigre qui se détachent en noir et blanc sur les murs clairs habite déjà les lieux de leur présence.
Ce regard perçant, sauvage et hypnotisant, cet instinct surhumain des animaux qui appelle l'éveil de nos consciences sur leur condition et force l'humilité sont autant de raisons qui ont poussé Antoine à les immortaliser si ardemment. Presque une obsession... Quant à la couleur, si elle s'avère utilisée avec tant de parcimonie dans son œuvre, c'est parce que la majesté du règne animal « n'a pas forcément besoin de réalisme en peinture, je préfère laisser cela à la photographie », ajoute notre hôte.
Doté d'une âme aussi belle que bestiale, chaque tableau d'Antoine Bertrand est original et exclusif. Comme un véritable animal de compagnie insoumis. D'ailleurs, « on adopte mes toiles et je ne refais jamais deux fois la même », affirme l'artiste qui, soucieux de la pérennité de cette relation picturale entre l’acquéreur et sa toile, ne travaille dorénavant plus qu'avec des matériaux naturels et de qualité. Après tout, « c'est un devoir, quand les gens ont investi dans une histoire d'art et d'amour, de la faire durer le plus longtemps possible ».
De son côté, le temps qui défile ne l'effraie guère. A 30 ans passés, Antoine Bertrand a des projets plein sa palette. Il nourrit par exemple le concept d'une performance « en cage », un enfermement artistique construit autour d'un thème engagé – pourquoi pas la protection des espèces en voie de disparition ? Trop jeune pour s'établir, il entend aussi continuer à parcourir le monde car « il reste tant de choses à découvrir ». Comme une formation à la céramique en Corée, prochaine étape de son fabuleux voyage créatif. Une aventure qui ne fait que commencer pour un artiste dont le nom a déjà décollé. Pour preuve : Antoine Bertrand est le seul artiste français à être exposé par la galerie Vanessa Rau. Pas de doute, notre samuraï est sur de bons rails !
Quoi ? • Exposition 'Samurai', premier solo show d'Antoine Bertrand.
Où ? • A la galerie Ground Effect, 160 rue Montmartre, Paris 2e.
Quand ? • Du 4 au 21 mai, du mercredi au samedi de 18h à 22h.
Combien ? • Entrée libre.