Bistrot Paul Bert
© Mickaël Bandassak
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Bertrand Auboyneau, au bistrot rêvé

On est allés à la rencontre des tauliers et des taulières parisien(ne)s. Deuxièmé épisode avec Bertrand Auboyneau, créateur du bistrot Paul Bert, une institution internationale

Antoine Besse
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Comme tous les midis, il est là, accoudé au zinc du Bistrot Paul Bert, surveillant la salle qui ne va pas tarder à se remplir. Chemise blanche, tutoiement facile et regard amusé, Bertrand Auboyneau, 73 ans, n’a jamais touché une casserole, mais a réussi à s’imposer dans le monde entier comme l’inoxydable gardien d’une cuisine parisienne qui faisait déjà saliver Arletty ou Lino Ventura. Les touristes du monde entier affluent au Paul Bert goûter son steak au poivre et sa cervelle au beurre comme ils prévoient de photographier la Joconde ou de monter en haut de Montmartre.
« Je n’ai jamais vraiment compris que le Paul Bert soit devenu une telle institution. Ça m’échappe un peu, à vrai dire, mais j’éprouve une grande fierté qu’on traverse le monde pour venir manger chez moi ! »

Bistrot Paul Bert
© Mickaël Bandassak

De l'or au zinc

La réussite n’a pas coulé de source. Au milieu des années 1990, Bertrand Auboyneau décide de changer de vie. Il vient de divorcer de son épouse de l’époque et de quitter son travail en or de gestionnaire de fortune au Moyen-Orient. Son revirement dans la gribiche et les ballons de rouge, il le doit à sa rencontre avec sa nouvelle compagne, Gwénaëlle Cadoret, fille d’ostréiculteurs qui approvisionnent les grandes tables parisiennes. C’est décidé : sa reconversion va rimer avec restauration. En décembre 1996, il avise, au 18 de la rue Paul Bert, un couscous à vendre à vil prix. L’affaire se conclut l’après-midi même avec le propriétaire des murs, M. Combettes, un Aveyronnais rugueux qui deviendra son ami (car si Bertrand galère en entremets, il est fort en entregent).

Bistrot Paul Bert
© Mickaël Bandassak

« Je ne savais pas cuisiner, mais je savais manger. J’ai eu la chance de grandir dans une famille aisée, avec un cuisinier à domicile qui préparait les repas. Et quand je voyageais en Afrique, j’ai découvert le pouvoir de réconfort de la cuisine. Bref, je savais exactement ce que je voulais comme cuisine et comme lieu. » L’adresse, ouverte début 1998, se pare des atours du rassurant faux vieux (murs couleur nicotine, réclames vintage) et d’une carte de classiques français qui n’ont pas changé jusqu’à aujourd’hui. « Je n’ai jamais varié de ligne ni de manière de travailler : une cuisine de bistrot la plus simple possible, avec de bons produits. »

Pygmalion du comptoir

Bistrot Paul Bert
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En parallèle de cette résolution bistrotière d’airain, Bertrand Auboyneau cultive une certaine modestie. Délaissant la légende du self-made man, il ne cache pas l’importance de ses parrains dans ce milieu de la cuisine où il n’avait ni pair ni repère. « Je suis resté dans la restauration car j’ai rencontré des gens du métier extraordinaires. Le premier a été Michel Picquart, alors chef à la retraite d’Astier, qui venait tous les jours. Il est devenu mon meilleur pote. Sans lui, le Paul Bert ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui. » Ce chef autodidacte, un brin caractériel, le pousse à soigner sa carte des vins, à peaufiner ses plats et, surtout, lui fait rencontrer d’autres cuisiniers, à une époque où frémit la bistronomie. Soudain, débarquent au Paul Bert Rodolphe Paquin, Éric Frechon, Yves Camdeborde…

A bistrot saved my life


« Je sortais d’un milieu professionnel aux relations humaines très superficielles. Le bistrot a tout changé. Je me levais à 4 h du matin pour faire les courses, je recevais des chefs à manger les samedis soir pour finir les restes et payer des bouteilles. » L’aventure du Paul Bert est lancée… Les cuisiniers vont tourner comme des derviches jusqu’à l’arrivée, en 2000, de Thierry Laurent, qui se sent comme chez lui dans ces recettes classiques. Dans un paysage culinaire parisien qui ne jure que par la nouveauté perpétuelle, la permanence de la carte de ce bistrot apparaît comme un phare rassurant. « Attention, avoir une spécialité comme le steak au poivre, ça t’enferme aussi ! On en a passé 17 000 l’année dernière… C’est énorme ! Il y a des gens qui prennent un steak, le photographient, en mangent la moitié et s’en vont. C’est un peu le système Grolet. Je ne peux pas l’enlever, mais je l’ai mis très cher ! »

Bistrot Paul Bert
© Mickaël Bandassak

Monopoly gourmand

Chez Bertrand, sous le taulier affable qui navigue entre les tables, l’homme d’affaires affleure. Très vite, il a multiplié les achats dans la rue : L’Écailler accoste fin 1998 au n° 22 ; le bistrot s’agrandit (et récupère de belles faïences 1900) en avalant le traiteur asiatique voisin en 2005 ; le Comptoir du Paul Bert éclot au n° 6 en 2012 (à vendre aujourd’hui) et une cave au n° 16 en 2016. « La reconnaissance du milieu a été difficile à obtenir pour quelqu’un comme moi, qui ne venait pas de la cuisine. Notre réussite étonnait. Je me souviens, vers 2012, lors d’un dîner avec Thierry Breton et Rodolphe Paquin, Yves Camdeborde propose de comparer nos bilans pour savoir où je faisais mieux qu’eux ! »
Aujourd’hui, Bertrand Auboyneau a gagné ses galons de sage du zinc, de bistrologue à la dent dure : « Plusieurs choses me dérangent dans la cuisine actuelle : les chefs n’ont plus de vision et ils ont l’œil trop rivé sur le livre de comptabilité ! »
Pas de doute, la succession de Michel Picquart est assurée !

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