Dans les rues de Paris, la mort semble nous guetter de plus en plus près. Graffée sur les murs, gravée sur nos montres et bijoux, sérigraphiée sur les étiquettes des bières, ré-interprétée à l'aiguille par les tatoueurs parisiens ou dessinée au pochoir sur les trottoirs, la tête de mort a retrouvé sa signification festive. Celle-là même associée à la locution latine memento mori qui, bien avant de devenir sous la plume de Shakespeare et le pinceau de Caravage une critique de la vanité de l'Homme, sonnait comme un véritable appel à la fête, proche du plus connu carpe diem. Un cas loin d'être unique dans l'Histoire puisque, dans les Caraïbes, le mythique Jolly Roger flottait lui aussi sur les bateaux, au-dessus des pirates célébrant leurs victoires à grand coup de rhum.
L'arrivée en France de sa déclinaison latino-américaine, la Calavera, remonte elle au début du XXe siècle, quand Jean Charlot, artiste-peintre originaire de Paris en visite au Mexique, découvre l'œuvre du graveur et illustrateur José Guadalupe Posada. Celle qui deviendra symbole de la fête des morts grâce à Diego Rivera, la Calavera Garbancera, n'est à ce moment-là qu'une lithographie parmi toutes celles que l'artiste populaire représente à la façon des vanités européennes, le ton corrosif en plus. Cette utilisation subversive n'est cependant pas nouvelle. Son prédécesseur Manuel Manilla, au XVIIIe siècle, jouait déjà avec cette même image alors symbole en Amérique centrale de la fête des morts, mais aussi résistance face aux pouvoirs colonisateurs du fait de sa symbolique dans la piraterie et de sa place importante chez les indigènes mexicains.
Reprise ensuite par Warhol puis par son protégé Basquiat, la figure de la tête de mort se retrouve « désacralisée » comme le désirait Jean Charlot dans son traité 'Escritos sobre arte mexicano' et retrouve ainsi sa signification première, celle de fête et de faste. Du street art à la vidéo chez Gondry, qui représente les guitares du morceau 'Around The World' par des Calaveras dansantes, en passant par Damien Hirst et son fameux 'For The Love of God', le symbole a aujourd'hui retrouvé la place centrale qui fut longtemps la sienne dans l'art et dans l'imaginaire collectif. Rien d'étonnant donc à ce que le symbole ait à nouveau le vent en poupe. Aujourd'hui, la figure se retrouve partout et les grandes marques de prêt-à-porter elles-mêmes n'hésitent plus à l'utiliser pour créer des tenues de soirées. Sur les murs des quartiers branchés et sur les bras de ses habitants, la Calavera s'expose bien volontiers dès qu'il s'agit de s'amuser. Et si cela ne suffisait pas à vous en convaincre, une marque de bière, Cubanisto, a même récemment adopté son image, pariant sur le symbole mortifère pour vanter les arômes de rhum, de citron vert et d'orange que révèle cette bouteille au regard hypnotique.
