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Vermeer

5 choses à savoir sur… ‘La Laitière’ de Johannes Vermeer

Pour connaître l'envers du tableau.

Écrit par
Clotilde Gaillard
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Devant votre érudition, les gens boiront du petit lait...

Avec 'La Joconde', ce tableau peint vers 1658 et conservé au Rijksmuseum d'Amsterdam s’affirme sans doute comme le chef-d'œuvre le plus connu de l'histoire de l'art. Et pour cause : tout le monde l'a déjà croisé au moins une fois… au supermarché, sur des pots de yaourt ! Vous l'avez donc deviné sans mal : nous décortiquons cette fois 'La Laitière' de Johannes Vermeer. Actuellement exposée au Louvre jusqu’au 22 mai 2017, ‘La Laitière’ est l’effigie d’une célèbre marque de produits laitiers, certes, mais elle a surtout contribué à la renommée inaltérable d'un peintre pourtant peu prolifique - en une vingtaine d’années de carrière, Vermeer n'a réalisé que trente-quatre toiles, soit pas plus de trois par an. 

Initialement intitulée 'Une servante versant du lait', cette huile sur toile montre en effet une servante au travail, dans un intérieur sobre, typique des maisons néerlandaises du XVIe siècle. Une « composition de cuisine » (ou « kitchen pieces ») qui classe 'La Laitière' dans les scènes de genre, alors très en vogue dans la Hollande de l’époque. Pour preuve : le thème du travail domestique a également été immortalisé par 'La cuisinière' de Joachim Beuckelaer, 'Femme versant de l’eau et cuisinière hollandaise' de Gerrit Dow ou encore 'Femme épluchant des pommes' de Pieter de Hooch.

‘La Laitière’, une petite toile (45,5 x 41 cm) qui n'a pas l'envergure de son influence. Néanmoins, elle recèle, entre les quatre châssis de bois de son cadre étroit, bon nombre de secrets plus ou moins bien cachés. Curieux, nous avons gratté le vernis pour vous les dévoiler...

1. La laitière : cochonne ou Madone ?

Le personnage de 'La Laitière' comporte une dimension maternelle et nourricière évidente. Il s'agit d'une femme solide, besogneuse, dont la dimension de pilier porteur du foyer, monumentale, est accentuée par une légère contre-plongée. Placée en position de force par rapport au spectateur, sa présence s'impose à nous, intimidante. Son air doux et son visage respirant la quiétude lui donnent un air de Madone, idée renforcée par sa jupe bleue et son corsage jaune, deux couleurs emblématiques de la Sainte-Vierge dans l'art chrétien. Le coin de la table lui-même semble sortir de la toile pour nous tenir à distance de cet être hors du commun, comme sacralisé.

Toutefois, plusieurs commentateurs érudits ont décelé une symbolique érotique de ‘La Laitière’, dont l'élément le plus probant réside dans un petit carreau, à gauche de la plinthe en faïence de Delft au bas du cadre, derrière la femme. Représentant un cupidon bandant son arc, il s'accompagne de la chaufferette, couramment associée au désir car réchauffant non seulement les pieds mais aussi les dessous féminins. Il n'en fallait ainsi pas moins aux analystes pour décréter que 'La Laitière' s'avérait en fait plus coquine et gourgandine qu'il n'y paraissait.

Si l’ambiguïté demeure sur la vertu de la servante, il semblerait que l'identité du modèle utilisé par Vermeer soit, elle, connue. Selon l’historien John Michael Montias, il s'agirait de Tanneke Erverpoel, la domestique qui fut, au début des années 1660, au service de Maria Thins, la belle-mère de Johannes Vermeer. 

'L'entremetteuse' de Johannes Vermeer, l'un des rares autoportraits du peintre (à gauche). On remarque que la femme ressemble beaucoup à la laitière mais en moins chaste : serait-ce les deux pendants d'une seule et même personne ? © Johannes Vermeer

2. A quoi pense-t-elle ?

Comme le dit si bien Walter Liedtke, conservateur du département des peintures européennes du Metropolitan Museum of Art de New York, 'La Laitière' est atteinte de l'« effet Mona Lisa ». En gros, si l'on cherche toujours à savoir pourquoi 'La Joconde' sourit, on ne peut s'empêcher de se demander : « Mais à quoi pense la laitière ? »

Partant du principe que les motifs de la plinthe peuvent nous éclairer sur la question, on peut échafauder le scénario suivant : la laitière s'abîmerait dans une rêverie songeuse et amoureuse (d'où le cupidon) prenant pour sujet un mari absent (figuré par le voyageur). Cependant, si la peinture se veut porteuse d'un message moralisateur – comme c'est l'usage à l'époque –, on peut y voir une mise en garde envers les tentations amoureuses et une allégorie du vagabond volage prêt à briser le cœur d'une jeune fille en fleur.

Mais toutes ces hypothèses demeurant très fragiles et invérifiables, Vermeer nous signifie peut-être ainsi que c'est ce que le visible ne délivre pas qui forge le mystère du tableau. Et le rend à ce point fascinant. 

Détail du tableau 'La Laitière'.

3. Qu’est-ce qu’on mange ?

D’après les ingrédients et ustensiles posés sur la table (la corbeille en osier, les grosses miches de pain, le plat en grès et le pot de lait), il s’agit probablement d’un pudding. Un met très repandu dans les contrées hollandaises, le pain étant à la base de l'alimentation du pays.

Traitée avec force détails, la préparation du plat constitue une nature morte en elle-même. On y perçoit la technique particulière et spécifique de Vermeer, celle d'entourer les objets de halos lumineux produits par une juxtaposition de petits points de peinture. Le pain s'expose ainsi baigné d'une spectaculaire aura quasi-surnaturelle, corps christique resplendissant telle une apparition miraculeuse. Cette peinture intégrée dans la peinture illustre la finesse, aussi bien d'observation que d'exécution, du maître Vermeer. Et bon appétit, bien sûr !

© AMY ROTH PHOTO

Pudding au pain © Amy Roth Photo                      

4. Un duo récidiviste

Dans la peinture de Vermeer, le tandem jaune-bleu est une combinaison chromatique récurrente, voire omniprésente. On la retrouve dans plusieurs toiles de Vermeer, en particulier dans un autre chef-d'œuvre du peintre, 'La Jeune Fille à la perle'. Mais aussi dans 'La Dentellière', 'Le Géographe' ou encore 'La Lettre d'amour'.
Cet affect presque obsessionnel de Johannes Vermeer pour ces couleurs s'expliquerait par leur contraste et leur façon d’agripper la lumière. Pour le peintre, le travail de la clarté s'avère en effet primordial. 

Pour s'en convaincre, il suffit d'admirer la façon dont les rayons du soleil percent au travers de la fenêtre pour venir caresser le visage de la servante et son avant-bras, guidant le regard du spectateur vers le lait qui se déverse. La vitre brisée apporte, elle aussi, un supplément de subtilité aux effets d’éclairage de la composition : en témoigne la lumière réfléchie par les différentes matières comme l'osier, le laiton, la plinthe en faïence, etc. Une lumière venant presque comme toujours de la gauche : encore un schéma visuel narratif, presque répétitif, cher à l'artiste.

Johannes Vermeer - Le Géographe - Francfort, Städelsches Kunstinstitut - © Städel Museum ARTHOTEK

5. Vermeer ou l'art du repentir

Un génie, parfois, ça n'est pas sûr de son œuvre et ça se reprend aussi. La preuve : une radiographie de la toile a en effet révélé un repentir au niveau du mur nu, derrière la laitière. A l'origine, un large cadre ou une carte géographique – à la manière de celle des Provinces-Unies que l'on voit dans 'L'Art de la peinture' – devait y figurer. Mais cet élément décoratif aurait semblé mal venu dans un milieu aussi humble.

Un autre détail caché a également été divulgué sous les couches de peinture à l'huile : un panier de linge reposait originellement sur le sol, à l'emplacement de la chaufferette. Son anse est d'ailleurs encore visible sur le mur blanc, juste au-dessus de l'objet. De minuscules imperfections qui rassurent sur la condition du maître virtuose : ouf ! Il était bel et bien humain...

'L'Art de la peinture' de Johannes Vermeer   © Johannes Vermeer 

En savoir plus sur les chefs-d'œuvre...

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